01 - la fin ou le début....

Zevran soupira et s'étira comme un gros chat, à s'en faire craquer les os. Avec un nouveau soupir, il repoussa la lettre qu'il était en train de lire et se leva. Il avait besoin d'air frais. Il empoigna la lettre, la pliant soigneusement dans son pourpoint avant de ceindre ses dagues. 6 ans après la mort de l'Archidémon, et 5 depuis cet arrangement avec les Corbeaux, l'elfe n'avait techniquement plus rien à craindre de personne. Mais il travaillait au sein de la garde des ombres désormais, et même s'il n'avait bu au calice, il connaissait tous les secrets de cet ordre. Il savait donc que le monde ne serait jamais en paix tant que les Engeances grouilleraient sous terre. Si on en croyait les légendes, les Archidémons seraient les Anciens Dieux de Tevinter corrompus. Il y en avait 7, et Piotr avait tué le 5ème... il en restait donc deux. Certes, Zevran espérait qu'il serait mort et enterré quand le prochain dragon montrerait le bout de son museau... mais la Divine n'avait-elle pas déclaré cette ère comme celle des dragons? Donc oui, mieux valait être prudent.

Traversant les couloirs abritant les chambres particulières des dirigeants de l'ordre, la bibliothèque et la salle de réunion, Zevran arriva à la salle commune où plusieurs le saluèrent. Cependant, devant son air un peu fermé, tous le laissèrent passer sans pousser plus en avant leur invitation à boire ou à jouer aux dés. Non, Zevran n'avait pas envie de s'amuser. Au contraire. Il gagna le rempart intérieur et laissa l'air marin d'Amaranthine lui balayer le visage, repoussant ses mèches blondes sur ses épaules. Il avait les cheveux un peu plus long maintenant - plus une question de paresse que de style. Piotr s'amusait à les lui tresser selon des motifs dalatiens dont la signification lui échappait pour la plupart, et pour le moment, il arrivait à gérer ses cheveux, quitte à les nouer en catogan lors d'un entraînement.

Il inspira, pleinement, et regarda d'abord la cité devant lui. Qui aurait cru qu'il finirait main droite du commandeur des Gardes de Ombres à Férelden, lui le petit Corbeau sans trop de talents si ce n'était pour sa grande et jolie gueule. Une partie de lui pleurerait toujours Rinna, et une autre culpabiliserait toujours de sa mort. Piotr lui avait appris le pouvoir du pardon et de la seconde chance. Leur amitié avait littéralement sauvé Zevran et c'était la raison pour laquelle il était toujours ici, à Fort Bastel.
Leur amitié et cette immunité diplomatique avec les Corbeaux: tant qu'il travaillerait pour "la grande et noble, et surtout neutre, cause des Gardes des Ombres", les Corbeaux ne s'en prendraient pas à lui. Alistair était arrivé à arracher cet accord à la guilde des assassins. Zevran n'était pas dupe: c'était Anora qui avait piloté tout ça. Alistair, roi de Férelden, avait eu du mal à réellement prendre son poste, même s'il avait perdu de ses illusions au cours de l'Enclin. A défaut de toute autre chose, il avait voulu aider ses amis. Piotr avait reçu le titre de Iarl d'Amaranthine, à la place de l'odieux Howe. Les Gardes des Ombres avaient donc un QG... mais se trouvaient féodés à la royauté locale... Actuellement le roi était un garde lui-même... mais son fils ou sa fille, s'il n'en avait jamais? Zevran se faisait du souci.
Alistair avait donné aux elfes les terres de Lothering et Ostagar, errigé en Iarling... presque un Tiern, d'ailleurs. Il n'y avait plus de bas-cloître en Férelden. C'était bien, mais cela faisait beaucoup, en peu de temps, et surtout ça faisait tache par rapport aux autres pays. Zevran se faisait du souci.
Alistair et Anora étaient mariés, plus politiquement qu'autre chose. Certes, la demoiselle se montrait désireuse d'aider et apportait son éducation politique à l'ancien templier, qui n'avait rien appris des méandres de la court. C'était une bonne chose, mais était-ce suffisant? Dans moins de 30 ans, Alistair aurait son Appel... et les Gardes étaient dit stériles... Donc une crise de succession allait avoir lieu, tôt ou tard. Zevran se faisait du souci.

C'était pourquoi il correspondait avec Anora, régulièrement. Sans offense pour Alistair ou Piotr, mais c'était eux les têtes pensantes. Le premier avait grandi dans les chenils et le deuxième parmi les écureuils. Pas vraiment des compétences dignes de figurer sur le CV des deux hommes les plus importants du royaumes. Même Fergus Cousland, l'autre Tiern restant, à Haute-Cime, savait qu'il comptait moins que ces deux-là.
La dernière lettre de la reine évoquait la paix fragile et fragilisée avec Orlaïs, le conflit grandissant entre mages et Chantrie, et les velléités d'égalité des elfes. D'un autre côté, Zevran avait reçu ce matin, - enfin Piotr, mais Zevran s'était servi dans la corbeille - une lettre du commandant général depuis Weisshaupt demandant qu'un envoyé de Férelden daigne ENFIN venir... Depuis 6 ans en effet, Piotr et lui avaient eu autre chose à faire que d'aller à l'autre bout du monde rendre compte à un gars qui avait laissé Férelden sans défense pendant plus de vingt ans. Si ce n'avait pas été pour Duncan, il y aurait eu un massacre...
Zevran se faisait vraiment du souci.

Alors qu'il soupirait encore en se demandant comment faire passer le message à Piotr, une commotion à l'entrée de la citadelle attira son regard. Un petit groupe se tenait dans la cour, et il y avait une certaine agitation autour d'eux... Suivant son instincts, Zevran sauta souplement la balustrade de pierre pour tomber sur l'escalier plus bas, et trottina jusqu'à la douzaine de personnes.

La poisse, la putain de poisse. La Poisse avec un grand P même, comme dans Putain ! Hermine semblait y avoir pris un abonnement depuis plusieurs mois, depuis que deux nobliaux débiles et sans-gênes avaient décrétés qu'elle finirait dans leur lit, sans se soucier de ce qu'elle en pensait, et que l'un des deux s'était pris un coup de couteau dans la carotide. Il l'avait bien cherché, mais ce n'était qu'un accident et depuis Hermine était dans une foutue merde.

Il lui semblait pourtant ce matin en avoir traversé le plus gros. Elle était en Ferelden, loin d'Orlaïs, son pays mais aussi là où elle n'était aucunement en sécurité. L'uniforme de Garde des Ombres lui avait bien servi, même abimé comme il l'était, Hermine ne savait pas ce que sa précédente propriétaire avait dû affronter avec avant de passer l'arme à gauche mais elle était très contente de ne pas l'avoir croisé. La jeune femme aurait pu se croire sortie d'affaire, elle n'allait pas tarder à pouvoir laisser le bout de tissu bleu pour autre chose faisant plus civil. Mais le sort semblait avoir décidé de lui jouer un nouveau tour.

Et ce tout s'était manifesté au détour d'une route, alors que la jeune Orlésienne fantasmait sur la possibilité d'un bon bain chaud et de vêtements propres ainsi qu'une nuit dans un lit décent, avec le temps passé sur les routes et la peur de se faire rattraper, elle en avait bien besoin, sous la forme d'une petite patrouille de Gardes des Ombres.

Au début elle n'avait pas compris pourquoi ils la saluaient en s'approchant. Elle n'avait saisi que quand ils l'avaient appelé "ma soeur". L'uniforme, l'uniforme que trop reconnaissable malgré la saleté et son piètre état général. Cet uniforme qui l'avait sauvée jusqu'ici mais qui allait certainement la faire chuter vers de nouveaux problèmes. La Putain de Poisse qui frappait encore.

-Ma soeur, tu es perdue ?

Avant même d'avoir pu réfléchir les mots franchirent les lèvres d'Hermine sans qu'elle puisse les retenir.

-Je ne sais pas…

L'un des membres regarda derrière le chemin qu'elle empruntait depuis qu'elle avait franchi la frontière.

-Tu viens d'Orlais, tu as un message pour notre Commandant ?

Ah ça non certainement pas, mais dire cela soulèverait trop de questions, il lui fallait trouver autre chose. Désespérée et épuisée de sa fuite Hermine ne put que reprendre les mots qu'elle avait déjà employés plus tôt.

-Je ne sais pas…

Les Gardes se consultèrent du regard, clairement la jeune femme en face d'eux avait un soucis. La fatigue se lisait facilement sur son visage, comme les épreuves d'un long voyage qui n'avait pas été sans problèmes s'ils en jugeaient au piteu état de l'armure qu'elle portait. Il y avait beaucoup de questions en suspens et faire un interrogatoire en plein milieu de la route était exclu. Non, mieux valait escorter leur soeur jusqu'au fort pour que leur soeur se repose et laisser leurs supérieurs gérer la chose. Cela semblait la meilleure chose à faire.

-Nous allons t'accompagner jusqu'à Fort Bastel, nous rentrons de patrouille, tu pourras te reposer là-bas et remettre ton esprit en ordre.

Objectivement, Hermine n'avait que peu de chances de pouvoir s'en sortir si elle décidait de fuir maintenant en courant, ils auraient vite fait de la rattraper. Elle ne pouvait rien faire d'autre que de suivre le groupe en espérant pouvoir trouver un moyen de se sortir des sables mouvants dans lesquels elle venait juste de poser les pieds… Mais son esprit semblait refuser de coopérer alors qu'elle marchait et que chaque pas la rapprochait d'un lieu de forte concentration de Gardes des Ombres qui n'apprécieraient certainement pas qu'elle se soit permise de dépouiller les corps de leur frère et soeur. Quand bien même n'eût elle rien à voir avec leur trépas et n'avaient ils plus aucun usage des pièces, provisions et l'uniforme qu'elle avait récupérés. Elle n'avait pas touché aux effets personnels. Mais pas dit qu'ils le prenne comme ça…

Ils arrivèrent bien trop tôt à son goût dans la forteresse, qui devait avoir un air rassurant et accueillant pour les Gardes qui l'accompagnaient apparaissait à Hermine menaçante et périlleuse. Elle était définitivement dans une merde noire. Très vite il y eu un petit attroupement qui se forma autour des Gardes qui rentraient de patrouille avec un visage inconnu et intriguant. Regards curieux et questions fusaient autours d'elles, ça ricochait et ça crépitait. Et elle, et elle...

Elle n'avait aucune idée de ce qu'elle pourrait raconter, la vérité était exclue, l'issue lui semblait bien trop hasardeuse. Enfin, elle risquait surtout d'en prendre plein la poire… Elle avait déjà assez de problèmes avec la Justice d'Orlaïs pour en rajouter avec les Gardes des Ombres. En bref mieux valait ne rien dire…

Ne rien dire… Cela pouvait bien être ça la solution… Ne pas avoir d'histoire ou de justification à donner… Et les laisser eux mêmes broder un conte… Ne pas savoir. Une bonne vieille amnésie. Voilà, Hermine n'allait définitivement rien savoir. Elle n'aurait pas à inventer quelque chose puisqu'elle n'aurait rien à pouvoir dire. Juste une page blanche, et ça jusqu'à ce qu'elle trouve un moyen de se barrer et ce au plus vite. Pour le moment elle pouvait laisser parler sa fatigue et se contenter de quelques mots aux questions qu'on lui poserait: Je ne sais pas. Avec quelques arrangements bien sûr.

C'était assez culotté au fond, mais si culotté que ça pouvait passer. Il fallait croiser les doigts.

Zevran n'eut aucun souci à se mêler à la foule. Il avait beau être un des chefs, il était surtout un ancien assassin avec des beaux restes. Se rendre "transparent" aux yeux des autres était un talent presque passif pour lui, aussi facile que respirer. Il entendit donc les nouvelles fusant ici et là, et son esprit agile arriva rapidement aux conclusions qui s'imposaient. Non qu'il y en eut beaucoup: patrouille sans histoire, et nouvelle garde des ombres bizarre.

Il leva un sourcil circonspect en examinant la nouvelle venue. Un poids plume, sans rien à se mettre sous la main niveau poitrine, et d'apparence bien fragile. Pour un peu, elle pourrait être une elfe, mais non, c'était bien une humaine. Il n'excluait cependant pas un mélange des races dans sa généalogie. Elle ne semblait pas être mage, ni même guerrière. Une archère peut-être? Pour être tout à fait honnête, il ne voyait pas vraiment ce qu'elle pouvait être. Il lui semblait déjà improbable qu'elle eût survécu à son Union. Il haussa les épaules: s'il y avait bien une personne qui savait qu'il ne fallait pas juger aux apparences, c'était bien lui.

- "Un peu de calme, voulez-vous?" Sa voix s'éleva, mettant fin au brouhahas général. "Lars, Teddy, je veux un rapport, maintenant. Le reste, allez vous reposer... Je suppose que vous n'avez pas de nouvelles de Nicholas et de Jocelyn?" C'était peut-être ça le plus inquiétant. Si Piotr avait ordonné des patrouilles, ce n'était pas pour le plaisir de faire gronder les recrues. C'était qu'on était sans nouvelle du duo que le Dalatien avait envoyé en mission secrète depuis déjà quelque temps et dont il attendait beaucoup. "Quant à toi..." Zevran s'approcha de la jeune brune. "Je suis Zevran Arainai, maître d'armes et second du commandant Mahariel. Je te souhaite la bienvenue ici. J'ai cru comprendre que tu avais une sorte d'amnésie sur ton passé le plus proche... Peux-tu nous donner au moins ton nom? Quelque chose? Aurais-tu sur toi un message, ou quelque chose expliquant qui tu es, et ce que tu faisais?" Il attendit un peu, avant de disperser tout le monde. "Je vais t'accompagner à notre infirmerie. Tu as surement besoin de soins, puis d'un bain, peut-être d'un repas, et de repos. Nos mages veilleront à ce que tu aies tout ça."

Ses instincts lui disaient que quelque chose n'allait pas, mais difficile de savoir quoi exactement. Ce n'était pas pour autant qu'il n'allait pas les écouter. Il était resté en vie uniquement grâce à ses instincts.

Il y avait une certaine cohue autours du groupe de Garde des Ombres rentrés fraîchement de patrouille et la nouvelle venue qu'ils ramenaient avec eux. Son visage ne disait rien à personne, et les discussions allaient de bon train se croisant et se mélangeant toutes en même temps, ce qui rendait la chose assez difficile à suivre, impossible en fait. Et aussi assez usante pour les nerfs rapidement, mais Hermine avait appris depuis son jeune âge à se défaire de ce genre d'agitation. Elle devait être capable de se produire dans des tavernes et des rassemblements plus bruyants que celui ci, quand bien même était elle fatiguée.

Cependant elle n'eut pas à la supporter bien longtemps, une voix s'éleva pour calmer tout le monde. Et au vu de la vitesse à laquelle les badeaux se calmèrent la jeune femme ne douta pas que son propriétaire devait avoir du grade et du galon dans le coin. La suite d'ordre rapide la conforta dans cette idée, nah l'elfe blond qui parlait n'était pas le dernier des clampins du coin. L'Orlésienne ne l'avait pas remarqué avant qu'il ne parle, pourtant il n'avait rien de commun ou d'oubliable. Déjà  rien que son teint brun, au milieu des faces majoritairements pâles et blanches des Gardes présents. En fait il semblait se décliner dans toute une tite de dorés, sa peau, ses cheveux ses yeux. Objectivement la nature avait gâté l'elfe, jusqu'à lui donner une grande taille pour les membres de son espèce. Enfin du point du vue d'Hermine et du haut de son même pas un mètre soixante à peu près tout le monde était grand.

Ah,un doute s'insinua dans l'esprit de la jeune femme quand l'elfe parla des deux absents. Un homme et une femme, Gardes des Ombres, en patrouille, dont on était sans nouvelle depuis un moment… La coïncidence serait un peu trop grosse… Et décidément ne pas récupérer d'effets personels avait été une foutue excellente décision, vu la situation actuelle. Hermine avait bien des informations sur le couple à donner, mais elle allait bien s'en garder et continuer de ne rien savoir du tout. Beaucoup plus confortable comme cela.

Les dits Lars et Teddy, sans doute un diminutif de Théodore pensa distraitement la jeune barde, s'éxécutèrent prestements impatients de pouvoir prendre un repos et un repas bien mérités. Ils n'avaient rien relevés d'alarmant durant leur patrouille, rien de notable, juste la routine, si ce n'est qu'ils avaient croisés la soeur ici présente sur le chemin du retour dans le même piteu état et semblant venir d'Orlais, elle n'avait pas été capable de répondre à leurs questions et ils avaient jugés préférables de l'escorter jusqu'à Fort Bastel.

Hermine ne s'était pas trompée en supposant que le blondin était une pointure, et pas qu'un peu elle avait devant elle le numéro deux du Fort, rien que ça. Si la situation n'était pas aussi merdique elle se serait presque sentie flattée. Sinon la bienvenue, c'était gentil, mais elle aurait préféré ne jamais poser les pieds dans ce putain de guêpier, donc à défaut elle comptait bien ne pas abuser trop longtemps de l'hospitalité du Fort.

Oh, son passé proche, c'était un tel merdier qu'elle préférait ne pas y penser et en courir loin, très loin de ce dernier et de ses conséquences. Pas la peine de préciser que c'était mal parti. Donc à défaut, elle ne se souviendrait de rien. Voilà. La Garde des Ombres qu'elle était pour eux serait une foutue amnésique indécrottable, pis c'est tout.

Ah ben, elle risquait pas de leur donner un quelconque message, mais ça ils ne le savaient pas… Et elle n'allait pas les démentir. Quant à son nom… Clairement elle ne leur donnerait qu'une identité tronquée ou inventée de toute pièce, mais la seconde option était plus risquée car il valait mieux qu'elle réponde rapidement et naturellement quand on l'appelait. Et elle ne pouvait pas se permettre d'éveiller plus de doutes que nécessaire.

-Merci… Hermine, je crois… Et je ne pense pas… Je ne sais pas… Je n'ai rien de plus sur moi…

La visite à l'infirmerie ne lui apprendrait certainement rien de plus que ce qu'elle savait déjà: qu'elle était épuisée, affamée et n'avait pas eu une vraie nuit de sommeil depuis un bon moment. Mais refuser aurait paru suspect, et à priori se plier à cet examen ne lui coûterait pas grand chose. La perspective du bain, long et brûlant dans l'idéal, d'un repas chaud, ou froid en fait du moment qu'il lui mettait quelque chose dans l'estomac, et d'un vrai lit, ça par contre cela la motivait et l'enthousiasmait beaucoup plus.Avec un peu de chance elle aurait même droit à un morceau de viande… Aussi hochat-elle la tête et se laissa guider dans les couloirs et les escaliers de la forteresse, retenant déjà l'itinéraire, on ne savait jamais cela pouvait toujours servir.

L'infirmerie ressemblait bien à ce qu'on pouvait attendre d'une infirmerie. Propre, un alignements de lit faits à quatre épingles séparés de tentures pour un minimum d'intimité. Elle était assez vide, un ronflement montait d'un des rectangle que formait des tentures et un Garde râlait à propos du bandage que lui faisait un guérisseur. Un type aux cheveux poivre et sel qui étaient coiffés en pétard, s'ils étaient coiffés, aux yeux bruns pétillants de vie au milieu de rides déjà marquées.

-Tu serres trop Theo, par Andrastré je préférais quand je pissais le sang pour le coup !

-Tu me remercieras plus tard, allez voilà c'est fini. Tu as été un grand garçon, si j'en avais je te donnerais une sucrerie pour te récompenser.

Le Garde ne trouva rien d'autre à répondre qu'un grommellement vaguement des propos inarticulés sous le regard rieur et malicieux du guérisseur avant de s'en aller pataud mais la main soigneusement bandée et mise à l'abris des infections. Zevran pris la place de ce dernier et Hermine alla s'asseoir sur un lit et laissa la lassitude détendre un peu ses muscles,fatale erreur. Le temps que Zevran ait fini d'expliquer brièvement la situation à Theo, Hermine était déjà roulée en boule au bout du lit. Le corps lourd de fatigue et les yeux lestés comme avec du plomb, elle était déjà bien loin au pays des rêves, prise dans un sommeil inextricable. La fatigue l'avait emportée sur la faim et l'inconfort.

La jeune femme dormi d'un sommeil imperturbable et d'une traite durant une bonne dizaine d'heures, toujours roulée en boule sur le bout de son lit. Ce n'est qu'alors que l'aube s'approchait que la faim réveilla l'endormie, elle avait put dormir maintenant il était temps de remplir son estomac qui criait famine et manifestait douloureusement son mécontentement. Hermine secoua son corps endolori et encore alourdi de sommeil, boire, manger. C'était sa priorité pour le moment, le reste attendrait que son ventre donne son assentiment. Elle s'étira dans un grognement étouffé dans le calme de l'infirmerie, puis en silence elle se leva, fit glisser doucement la tenture tirée pour séparer son box du reste de l'infirmerie afin d'y jeter un oeil. Personne. Toujours en silence Hermine fit glisser le pan de tissus et avança à petits pas vers la sortie.

Elle ne savait rien de l'architecture et de l'agencement du Fort, et encore moins où pouvaient bien se trouver les cuisines, soit elle refaisait en sens inverse le chemin emprunté la veille avec Zevran, et dont elle se rappelait très bien, soit elle explorait quitte à perdre du temps. Enfin dans les deux cas l'issue semblait assez incertaine. Après une rapide réflexion la jeune femme décida de refaire le chemin jusqu'à la cour et de là partir en quête des cuisines qui selon toutes logiques ne devraient pas être loins. Retourner jusqu'à la cour ne s'avéra pas bien difficile, ensuite une fois arrivée au lieu désiré il lui fallait choisir une direction globale à prendre. Hermine la prit un peu au hasard, mais cela se révéla fructueux.

Rapidement elle pénétra dans la chaleur des cuisines, encore au repos au vu de l'heure, rien qu'à les voir on sentait que le Fort était prévu pour accueillir un sacré paquet de monde elles étaient imposantes. Et Hermine espérait que le garde manger était du même acabit. Elle poussa une porte en bois qui pouvait bien être celle qu'elle cherchait, et… Bingo ! On pouvait dire beaucoup de choses sur les Gardes des Ombres mais en tous cas leur cellier il était loin d'être vide et cela arrangeait bien Hermine.

Sans plus de cérémonie Hermine chippa quelques pommes, une miche de pain blanc enroulée dans un torchon, un bout de fromage et un peu de charcutaille avant de s'installer à une grande et longue table en bois. Elle déballa la miche qui avait déjà été entamé, dégaina sa lame et s'en coupa une tranche qu'elle déchiquetta quasi immédiatement de ses main pour en enfourner les morceaux dans sa bouche, mastiquant avec plaisir et férocité. Par les dessous d'Andrasté ! Que c'était bon ! Elle se serait facilement bourrée que de ce pain tant elle était affamée et qu'il lui paraissait comme le plus doux des mets à ses papilles en cet instant. Mais des tranches de fromage et de charcuterie vienrent rapidement accompagner le pain.

Honnêtement Hermine s'en mit plein la panse et sans aucun remord, ce n'était pas grand chose après son petit "emprunt" d'armure, elle crevait la dalle et ne savait pas quand elle pourrait remplir ainsi à loisir son estomac. Une des règles qu'elle avait appris depuis son enfance était que quand on pouvait manger, on ne faisait pas de chichis et on en profitait sans vergogne. Et elle venait d'appliquer cela à la lettre. Une fois la dernière pomme mangée jusqu'au trognon l'Orlésienne remballa la miche et le reste pour aller les replacer dans le garde manger. Le ventre plein, le corps et l'esprit reposés par une bonne nuit de sommeil elle se sentait beaucoup mieux, bon on n'était pas encore au top mais il y avait clairement du mieux par rapport à la veille.

Et en resortant du cellier elle tomba nez à nez avec ce qu'elle devina être le cuistot en chef et Hermine n'avait jamais croisé un cuisinier qui apprécie que l'on se serve dans ses réserves sans son accord. D'ailleurs les bras croisés de ce dernier et les sourcils froncés qu'il arboraient sur sa mine renfrogné confirmaient que celui ci ne faisait pas exception à la règle. Son expression se nuance de surprise quand il vit l'état de la petite souris qui sortait de son cellier. Sale, échevelée et pas vraiment une tête familière, ce devait être la soeur ramenée la veille.

-Bonjour ma soeur, je peux t'aider ?

Le ton ne se dissimulait même pas de dire qu'elle allait se faire disputer si elle ne trouvait pas quelque chose de bien à répondre, ou de détourner son attention.

-Bonjour frère, et oui je pense, vous êtes bien le cuisinier ici ? Je vous cherchais pour connaître les horaires du repas.

Le cuistot leva un sourcil, pas vraiment convaincu de la justification que la petite chose venait de lui donner mais Hermine était assez satisfaite de l'excuse qu'elle venait de sortir, bon ça ne cassait pas trois pattes à un canard, mais elle en avait sorti une et c'était déjà pas trop mal.

-Dans le garde manger ?

-Eh bien… Oui, comme je ne vous trouvais pas dehors j'ai essayé dedans.

Clairement il n'était pas pleinement convaincu mais comme la petite ne cillait pas et qu'il n'avait rien qu'il puisse objecter directement, puis bon elle ne serait pas la première ni la dernière à chipper un peu dans le garde manger, enfin la prochaine fois il ne laisserait pas passer cela si facilement.

-Petit-déjeuner de six heure et demie à huit heure et demie, déjeuner de midi à une heure et demie, dîner de sept heure à huit heure et demie. Et le service se fait dans la salle commune, pas dans le cellier. Autre chose ?

-C'est noté, merci. Et euh… Il y a un emploi du temps particulier à suivre en dehors des heures de repas ?

-Mais qu'est ce que j'en sais moi ? C'est ton souci ça ma petite. Et avant que tu demandes les bains c'est dans l'aile Ouest, de l'autre côté de la cour, tu ferais bien d'y aller et vite. Allez, file maintenant, tu n'as rien à faire ici.

Hermine hocha la tête sans demander son reste, elle s'en sortait à bon compte et elle devait reconnaître qu'objectivement elle ne devait pas sentir la rose, et qu'un bon décrassage ne lui ferait pas de mal. En traversant à nouveau la cour elle constata que le Fort semblait se réveiller doucement, combien de Gardes des Ombres il pouvait bien y avoir dedans ? Et surtout combien de temps son histoire allait bien pouvoir durer ? C'était important comme estimation, parcequ'il fallait qu'elle trouve un moyen de déguerpir avant. Pour le moment elle ne trouvait que "pas longtemps" comme réponse, ce qui était loin d'être satisfaisant et suffisamment précis à son goût. Tout ce qu'elle pouvait faire en définitive c'était guetter l'occasion à saisir par les cheveux en espérant disposer d'assez de temps.

Prise dans ses pensées Hermine pénétra dans la première porte qui lui sembla être ce qui pouvait correspondre à des bains, sans penser à vérifier s'il n'y avait pas de seconde porte ou une quelconque séparation possible. D'ailleurs elle atterrit effectivement bien dans un vestiaire avec à disposition des serviettes. Les lieux semblaient déserts, ce qui n'avait rien de surprenant vu l'heure plus que matinale. Aussi la jeune femme se déshabilla-t-elle sans plus de chichis, défit enfin totalement ses cheveux qui de toutes façons cherchaient déjà à prendr eleur liberté depuis un moment, s'enroula une serviette autour d'elle dans un élan de pudeur mais aussi pour se préserver de la fraîcheur de l'air avant de continuer vers les bains à proprement dit. Fantasmant déjà sur le fait de pouvoir se laver entièrement et des délices de la propreté qu'elle allait enfin retrouver.

Zevran avait à peine fini de conférer avec le médecin de Fort Bastel que la jeune femme, qui s'était défait des éléments lourds son armure s'était assoupie. Il fronça les sourcils mais Theo l'empêcha de la réveiller. Le médecin vérifia juste qu'elle s'était endormie et non évanouie, constata qu'elle ne saigna pas à en mourir. Globalement rassuré, il lui enleva ses bottes et la recouvrit d'une couverture, la laissant reprendre des forces. Au cours de la journée, il passa plusieurs fois pour veiller sur elle, mais il n'y en avait nul besoin.

Zevran avait embarqué l'armure. Déjà, la jeune femme n'en aurait pas besoin - plus besoin, en fait, vu l'état. Et justement, cet état l'intriguait. Vu les dégâts sur le plastron, il s'était que "Hermine" fût encore en vie... et qu'elle ne souffrit que d'une amnésie. Certes, un coup à la tête, c'était un coup à la tête. Mais quelque chose n'allait pas ici, et il allait regarder tout ça. Comme s'il n'avait pas suffisamment de soucis comme ça. Mais c'était la vie que les Dieux, Anciens, Nouveaux, Unique ou autre avaient décidé de lui donner, donc il ferait avec.

L'aube arriva et étonnamment, il était profondément endormi, dans son lit, bien calé entre matelas, oreillers et couettes. L'Antivan n'avait jamais du genre à se refuser les plaisirs et les luxes de la vie, et des années à se retrouver expédier en mission aux 4 coins du monde lui avaient appris qu'une bonne literie, c'était la clé de beaucoup de choses. Sommeil, sexe, et qui sait encore.

Par contre, Piotr, lui revenait de chasse. Le Dalatien n'avait jamais réellement pu s'habituer à vivre dans une ville, même si Fort Bastel n'était pas vraiment une ville. Mais c'était un habitat fermé, avec des murs, et des toits et des pierres, et bien trop de gens pour pas assez de verdure. Sa chambre et ses quartiers personnels ressemblaient à un bout de forêt, avec des plantes en pot un peu partout. L'elfe était sorti vers minuit hier, sa fidèle marbari à ses côtés, et s'en était aller chasser et réfléchir un peu. Même si Zevran gérait beaucoup de choses, Piotr était LE commandant, et c'était à lui de prendre certaines décisions. Répondre à l'appel de la Fortesse-Mère, par exemple, devenait une urgence. Mais qui envoyer? Ni lui, ni Zevran, hors sa confiance se limitait réellement à ces deux noms. Il avait des fidèles lieutenants... fidèles à l'ordre,voire à Orlais. Piotr n'était pas idiot. Peut-être manquait-il de finesse "civilisée" mais en six ans depuis la fin de l'Enclin, il avait appris. La plupart des gardes actuellement sous ses ordres étaient des contingents venus de la garnison d'Orlais, même si Nevarra et les Marches Libres avaient renforcé leurs rangs. Or, s'il avait bien compris une chose, c'était que les gardes des ombres étaient tout, sauf a-politiques.

Au retour à Fort Bastel, il avait confié aux sentinelles la carcasse de daim qu'il avait tué d'une flèche unique, avant de se rendre dans les bains. Le système de canalisation de la commanderie était un luxe inoui : il fallait dire que les mages recrutés chez eux avaient pu s'en donner à coeur joie, loin des yeux des templiers. Ils avaient apposé des sceaux de chaleur miniatures à tous les robinets, de telle sorte que l'eau pouvait sortir aussi chaude que voulut, à volonté. Piotr n'était pas un fanatique de la civilisation, mais il devait reconnaître que ça avait du bien.

Parce que ça rendrait donner son bain à Valneesha bien plus facile. La Marbari était actuellement en train de tremper dans une grande baignoire rempli d'un fond d'eau de bien 50 cm désormais boueux, tandis que Piotr s'activait à faire mousser le savon et à la grattouiller. Fini les séances dans une crique d'une rivière glaciale. Lui-même n'avait conservé que son caleçon - sale et désormais mouillé - car il avait planifié de se laver après avoir pris soin de sa "Petite Chérie".
Lorsque la porte s'ouvrit, il grimaça. Oh, personne ne lui dirait rien, mais personne n'appréciait quand il lavait Val dans les bains communs. On pestait que ça sentait le chien mouillé, ce qui était fort injuste, car tout Férelden sentait le chien mouillé. Se préparant à faire face à une mine déconvenue et pleine de reproche, Piort eut la surprise de voir une jeune femme.

Lui n'avait aucun souci à voir une jeune femme. Elle avait la stature d'une femme elfique, petite et menue, et il fallait être débile pour prendre ce visage anguleux pour autre chose que celui d'une fille.
- "Bonjour". fit-il poliment. Il savait qu'il n'avait pas une tête très... souriante? accueillante? "Tu dois être Hermine". Ah oui, il lisait les rapports, merci beaucoup. "Tu tombes bien, viens m'aider. J'en suis au rinçage." Val aboya, contente d'être propre et contente à l'idée de pouvoir jouer à l'eau avec le jet qui allait venir. Le Dalatien se releva et marcha jusqu'à la porte d'un pas souple de panthère des bois, ses muscles jouant son sa peau désormais pale. Il avait été bronzé, un jour, lorsqu'il passait sa journée dans les bois. Désormais, il la passait derrière le bois de son bureau. Triste sort que le sien. Les cicatrices qui parcouraient ses bras, son tronc et même ses jambes renforçaient cette impression.
Il referma la porte derrière la jeune femme, la poussant même vers la baignoire, pendant qu'il passait le nez de l'autre côté des vestiaires.
- "Hey, Babeth. Pourriez-vous être un chou et prévenir tout le monde que je lave ma Petite Chérie? Histoire de couper court aux cris et aux protestations si tôt le matin? Merci, vous êtes géniale."

Ce point réglé, il revint à la salle de bains.
- "Ben alors? Moins de baillage aux corneilles, plus de rinçage." gourmada-t-il Hermine qui n'avait pas bougé, en claquant dans ses mains. "Val, voici Hermine. Hermine, voice Val. Soyez bonnes copines." Et Val, après avoir sniffé Hermine, aboya gaiement. Piotr était rassurée. Aussi louche pût-elle être, Hermine avait passé THE test: Val l'acceptait.

Honnêtement en voyant la tête de psychopathe de l'elfe, bon psychopathe était peut-être un bien grand mot mais elle le voyait bien la découper en morceaux joyeusement et en sifflotant avant de les donner comme friandises à son molosse, elle eut peur. A la décharge du pauvre Dalatien, Hermine avait une certaine tendance à la paranoïa ces derniers temps. Elle se rendit cependant très vite compte qu'il n'était en rien agressif, et il était très poli, même si elle se retrouvait engagée de force dans le toilettage du mabari. Est-ce que les Gardes des Ombres se lavait toujours avec leurs chiens ? C'était un truc Féreldien uniquement ? Elle avait entendu dire que dans ce pays les mabaris avaient une place très spéciale.

Hermine n'avait aucune idée de qui pouvait bien être l'elfe pâle en caleçon, un guerrier certainement, il n'avait pas une tête de gratte papier et elle ne pensait pas qu'on pouvait obtenir de telles cicatrices qui parcouraient son corps en restant derrière un bureau. Ou alors il fallait vraiment être atrocement maladroit avec un coupe papier. Il connaissait son nom, donc soit l'information s'était propagée très vite ou alors il faisait partie des gradés. La façon dont il parla à la dénommée Babeth la fit pencher pour la seconde option. Et lui appris aussi que le cas du toilettage de le "Petite Chérie" était une exception et que ça ne plaisait pas à tout le monde. Donc s'il le faisait encore, c'est qu'il devait profiter de certains privilèges.

Elle jeta ensuite un oeil en chien de faïence à la "Petite Chérie", autrement dit le chien de guerre d'au moins cinquante kilos de muscles avec des dents blanches acérées et impressionnantes, "Machine à Tuer" ou "Cerbère" voir "Dernière Heure" semblaient des surnoms plus appropriés aux yeux de la jeune femme. Nal elle regardait l'humaine d'un oeil curieux depuis sa baignoire, elle ne connaissait absolument pas son odeur mais elle n'avait rien de désagréable. Juste un peu âcre à cause de l'angoisse et de la peur, mais sinon rien. Aussi aboya-t-elle joyeusement, approuvant la demande de son maître.

Hermine restait un peu décontenancée, le molosse ne semblait pas décidé à goûter sa chair et l'elfe la regarda avant de faire un signe de tête pour l'inciter de nouveau à frotter. L'Orlésienne décida qu'il était plus sage de s'exécuter sans discuter et sans réfléchir, sinon elle allait continuer à rester plantée là comme une potiche. Aussi se mit elle à genoux et commença à frotter énergiquement la fourrure du mabari qui remuait joyeusement la queue la langue pendante devant toutes ces attentions. Très vite elle se retrouva couverte d'une espèce mousse blanche qui la faisait plus ressembler à un caniche de vieille douairière orlésienne dopé aux hormones.

C'est à se moment que Piotr décida de passer aux jet d'eau Val, l'annonçant à coup de gagatises tout en faisant tourner la plomberie. Et alors qu'Hermine s'attendait à un jet d'eau froide ce fut de l'eau chaude qui jaillit du robinet surprenant la jeune femme au passage, c'était décidément le grand luxe les bains ici. La chienne s'éclatait clairement sous le jet d'eau et au bout de quelques minutes son maître décida qu'elle était propre comme un sou neuf et la fit sortir de la baignoire. Elle s'ébroua alors généreusement une fois dehors, arrosant bien l'elfe et la jeune femme au passage, ce qui fit rire son maître.

La Petite Chérie était désormais bien propre, et avec un pelage soyeux et brillant, maintenant c'était au tour des humains et des elfes de se récurer. La barde n'avait pas de soucis à se mettre nue devant les membres de sa troupe, ils étaient sa famille après tout et l'avaient vu grandir depuis sa naissance et les séances de nettoyages se faisaient en groupe le plus souvent. Sa notion de l'intimité était donc assez tronquée, mais s'exposer devant un inconnu, cela était plus compliqué. Pas tellement une question de pudeur, mais plus d'exposition dans la vulnérabilité. Mais il allait bien falloir qu'elle s'y fasse et l'elfe, dont elle ne connaissait toujours pas le nom et la fonction au passage -bien qu'elle se doutait bien qu'il s'agissait d'un type important, semblait respecter un semblant de pudeur. Ou en tout cas la suspicion de pudeur chez la petite jeune femme.

Aussi chacun se retrouva dans une baignoire éloignée, se tournant le dos. Hermine prenait le parti de ne rien dire et d'écouter pour le moment. Collecter ce qu'elle pouvait comme information sans se faire remarquer, l'objectif du moment avec celui de prendre la clef des champs avant que le pot aux roses ne lui tombe sur le coin du nez.

Le bain lui fit un bien fou, brûlant et la décrassant totalement. Elle savona à fond sa chevelure noire, l'essorant et la peignant longuement, défaisant chacun des nombreux noeuds qui s'étaient formés avec soin. Elle n'avait pas bien pu s'en occuper depuis un moment et le fait de retrouver ces gestes simples et qui n'entraient pas dans une démarche de survie pure et dure lui faisait un bien fou. Elle les rassembla ensuite encore mouillé en une tresse qu'elle laissa tomber dans son dos.

Dormir, avoir le ventre plein et être propre. Comme cela était agréable ! Surtout en profitant sans efforts d'un bon bain brûlant. Elle n'avait absolument aucune idée de comment l'eau pouvait sortir aussi chaude directement mais en tous cas elle remerciait intérieurement les personnes derrière un tel luxe.

Dans le vestiaire elle en profita pour troquer les vêtement crasseux et pouilleux qu'elle avait portés jusqu'ici contre, une chemise et un pantalon propres mis à disposition . La jeune femme avait une figure bien plus humaine que la veille, reposée, rassasiée et nettoyée. En meilleure forme déjà aussi.

Hermine s'éclipsa rapidement, elle avait encore beaucoup de choses à voir. Comme faire le tour du Fort et chercher un moyen de s'éclipser. Enfin avec quelques provisions de préférence, histoire de ne pas mourir de faim dans les jours qui suivraient. Elle décida de terminer d'explorer les alentours directs de la Cour, elle en avait déjà vu les cuisines et les bains, mais il devait bien y avoir d'autres choses. Et en effet, il y avait la salle commune, immense remplie de longues tables et de bancs tout aussi grand avec une hauteur de plafond proportionnelle. Pour faire court: ça en jetait un max. Et c'était déjà plein de Gardes qui déjeunaient.

Elle ne s'attarda pas trop cependant, passant à d'autres lieux et couloirs. Elle trouva ainsi ce qui servait de Chanterie dans le Fort, elle s'y arrêta un moment adressant une prière silencieuse pour la sûreté de sa famille en Orlais, ça ne mangeait pas de pain et c'était bien tout ce qu'elle pouvait faire pour eux. Prier et espérer. Après elle trouva aussi une petite cour qui semblait tenir lieu de jardin à simples pour l'infirmerie. Et les salles ainsi que la cour d'entraînement vers le milieu de la matinée. Elle commençait à se dessiner un plan assez précis du coin dans sa tête lorsqu'elle tomba sur la séance d'entraînement des Gardes. En restant un peu à l'écart elle se mit à regarder, curieuse de voir comment les choses se passaient. C'était l'elfe blond qui l'avait accueillie la veille qui menait la séance. Après tout il lui avait bien dit être le maître d'arme.

Piotr avait entendu parler d'Hermine. Rien ne se passait dans le fort sans qu'il ne le sut. Pas autant par déférence de ce rang de commandant - même si ça l'aidait à connaître les grandes lignes et les débats "politiques" (comprendre, emmerdants comme la pluie). Non, c'était sa passion pour les rumeurs et sa tendance à jouer aux ombres dans ses propres quartiers qui faisaient que le Dalatien savait tout, sur tout. Rogue un jour, rogue toujours. Certes, il avait été un rogue forestier, et il ne battrait jamais Zevran à cette compétition de course aux ragots ; l'Antivan avait été un rogue urbain et un espion formé à l'art de sous-tirer informations et vie à sa cible. N'empêche que... si Piotr était rarement derrière son bureau, c'était parce qu'il était dans les cours et couloirs. Un management par la racine, donc forcément très sain.
Il savait donc tout: le peu qu'elle avait dit, les suspicions de Zevran et maintenant, l'approbation de Val.

L'elfe avait bien l'intention de profiter de ce manque de pudeur de la part de la jeune femme pour la cuisiner un peu. Cette erreur en disait pourtant déjà long sur elle. Plutôt que de s'excuser et de chercher la porte des bains des femmes, elle n'avait rien dit. Pourtant, Piotr savait que les Gardes orlésiens étaient bien plus à cheval sur les.... conventions qu'eux. Peut-être parce qu'ils en avaient, des chevaux, là où Férelden n'avait que des chiens... des marbari, plutôt. Etrange. Elle s'était laissée diriger sans question ou mot dire. Certes, difficile de savoir, avec son visage de poupée lisse qui masquait - très pratique - ses émotions. Cela lui donnait à penser, et il traina dans son bain en soupesant ses options.
Très chevalresque, Piotr lui prêta son peigne et sa chemise, se contentant de son pantalon. Ils faisaient presque la même taille. Puis il alla lui chercher une tenue de rechange à la réserve, choisissant un gris pâle et un bleu marine très foncé pour aller avec son teint. Hé, quoi? On pouvait être Dalatien, garde des ombre et avoir un sens de l'esthétisme. La nature était un modèle parfait sur ce point.

Puis il s'en alla vaquer à ses occupations, Val reniflant la jeune femme une dernière fois avant de courir après son maître, menaçant de le faire tomber dans les escaliers jusqu'à ce que la barbe comprît qu'ils faisaient une course, chose très dangereuse vu l'angle serré du colimaçon.

Zevran s'était présenté à l'infirmerie ce matin pour trouver le lit vide et l'infirmier incapable de savoir quand la brune s'était éclipsée. Bon, vu que les portes étaient fermées pour la nuit, elle n'avait pas quitté les lieux, sauf si c'était une espionne... et l'idée d'avoir une espionne libre dans les couloirs de Fort Bastel l'avait mis en fureur. Zevran n'était pas du genre à tempester. Non, bien au contraire. Une vacherie avec un doux ton sirupeux avait bien plus d'effet. Quelle chance pour tous, Hermine fut localiser en train de se promener... un état très étrange pour une femme qui se disait amnésique.

Aussi le blond ne perdit pas de temps quand il l'a vit, du coin de l'oeil.
- "Hermine." appela-t-il. N'étant pas garde, il n'appelait personne "frère" ou "soeur". C'était inconcevable, et surtout, cela donnait un goût d'inceste aux nuits qu'il passait avec l'un ou l'autre des gardes. Non, merci. "Je ne t'ai pas vu au petit-dejeuner. Ce n'est pas bien de rater un repas, surtout dans ton état." Faisait-il l'innocent ou cherchait-il une prise dans les remparts qu'elle avait érigé autour d'elle? Difficile à dire. Au jeu du masque, il était bon. Très bon. "Que dirais-tu d'un petit entraînement? Ton corps devrait se souvenir de beaucoup de choses, à défaut de ton esprit." Elle pouvait être mage, certes, mais Zevran était persuadé qu'elle était du club des rogues. Avec sa stature, on la voyait mal avec bouclier et grande épée. La question était posée avec intérêt pour elle, comme lui. S'il voulait l'aider à se souvenir, lui voulait savoir.

Le ton doucereux de l'elfe fit craindre à Hermine le pire, ça puait. Elle ne savait pas ce que Monsieur Tout En Dorure avait derrière mais le petit éclat dans ses yeux ne lui laissait rien présager de bon pour elle. Elle le sentait mal, appelez ça l'instinct féminin si vous voulez.

Elle releva la pique sur le petit-déjeuner, elle n'y était pas allée parce que son ventre était encore plein de l'encas qu'elle avait pris plutôt. Ajouter un bol de porridge aurait juste risqué de tout faire déborder. Et elle ne tenait pas particulièrement à se mêler aux Gardes pour le moment, elle ne savait pas quelles gaffes idiotes elle pourrait faire à cause de l'ignorance que même l'amnésie n'excuseraient pas. Si elle n'en avait pas déjà fait quelques unes… En gros elle préférait limiter les risques.

La jeune femme avait préféré exploité ce temps pour explorer les environs, cela pouvait toujours servir. Elle savait déjà où dégotter des provisions, en fait le vrai soucis allait être de sortir. C'est qu'un fort on y entre difficilement sans y avoir été invité, mais la réciproque était vrai pour ce qu'il s'agissait de sortir. Et il lui faudrait bien trouver un truc pour ça… De préférence en étant libre et vivante. Dans l'idéal…

Quant à savoir ce que l'elfe voulait accomplir avec sa pique, elle en savait rien et, même si elle restait sur ses gardes, s'en foutait un peu. Alors elle mis en application une des leçons qu'elle avait appris sur ses routes: cherche pas la merde et ferme ta gueule. Dans le doute ça avait tendance à marcher, aussi ne releva-t-elle simplement, ne déserrant pas ses lèvres. Peut-être pas la meilleure stratégie à aborder mais c'était la plus fiable qu'elle connaissait.

Entrainement ? Souvenirs du corps ? Oh les souvenirs qu'elle n'avait pas parce que jamais dans sa vie elle n'avait suivi un entraînement de garde des ombres, ou un quelconque entraînement martial dans les règles ? Bien sûr qu'elle était certaine qu'ils allaient lui revenir ! Y avait pas de raison ! A part peut-être:y avait aucune chance que ça arrive, JAMAIS. Mais si une chose était sûre: elle était dans la merde, jusqu'au cou, bordel. Bordel de putain de merde, elle ne pouvait pas refuser, ça aurait l'air louche. Mais en même temps si elle acceptait il allait vite se rendre compte qu'elle n'avait vécu un entraînement militaire de sa vie. Putain de merde, mais elles étaient passées où les solutions raisonnables ? Elles étaient parties se dorer au soleil en Antiva ?! Et les idées géniales ? Elles étaient où quand on avait besoin d'elles, hein ?!

Pute borgne… Il lui fallait un petit miracle là… Hermine se demanda si Andrasté ou le Créateur seraient disposés à l'écouter et à la sortir de cette tourbière, genre avec une pluie de feu et de flammes, un buisson ardent, une invasion subite de sauterelles, une explosion, un Garde soudainement pris d'une crise de rage, n'importe quoi qui détournerait l'attention. La probabilité lui sembla extrêmement faible, de toutes façons c'était pas la saison des sauterelles…

Définitivement elle était dans la merde, elle aurait plus vite fait de chercher un tabouret, une corde et une poutre à ce point… ça irait plus vite. Elle pouvait toujours tenter de sauver les apparences, parce qu'elle doutait que partir en courant maintenant pour essayer de foutre le camp en espérant ne pas se faire plaquer au passage soit une bonne idée, ou ait seulement une chance de réussir. Mais elle se doutait bien qu'elle allait recevoir.

-Eh bien, pourquoi pas, ça se tente.

Sans un mot de plus elle alla rejoindre le groupe Gardes qui suaient déjà sur le sable de la cour. On ne pourrait pas l'accuser de mauvaise volonté. Et on peut pas dire qu'elle se soit trompée. Elle en chiait, et avait la confirmation concrète à son intuition innée que l'armée c'était pas pour elle. Assez catégorique la confirmation. Mais elle s'appliquait à réaliser chaque exercice de son mieux, même si elle était assez clairement inexpérimentée et n'avait rien d'une guerrière. Elle puait le bleu de première ou le civil, en tous cas les odeurs de savon et de propre de son bain s'éloignaient déjà…

Elle eut droit à près d'une bonne heure d'exercice des base, elle n'osait pas imaginer les courbatures qu'elle allait avoir le lendemain… Elle ressemblerait plus à une vieille mémé prise de courbature qu'à autre chose. Déjà que la couverture de Garde des Ombres elle passait moyen niveau crédibilité… Puis ils passèrent aux exercices plus.. sérieux. En fait des combats à mains nues "amicaux", comme si avec son poids plume et sa carrure miniature Hermine avait une chance… Mais bon, il avait des chances que ce soit plutôt tranquille, après tout ce n'était qu'un entraînement.

La jeune femme fut bien vite détrompée, le sort avait fait qu'elle se retrouve face à un homme. Il faut dire que les Gardes femmes étaient bien moins fréquentes que leurs homologues masculins. S'il était plus grand qu'elle, il n'y avait pas forcément une grosse différence de gabarit. Enfin relativement. Ce qui ne l'empêcha de rapidement se retrouver jeté sur le sable, à mordre la poussière.

Arf, ça faisait mal… Et elle y eut droit jusqu'à que la fin de l'entraînement soit sonnée. Résultat des courses: elle était bonne pour reprendre un bain, et couverte de sable et de poussière. Il allait falloir qu'elle trouve les lavoirs, sinon à ce rythme elle allait épuiser tous les stocks de vêtements à sa taille au Fort. Presque un retour à la case départ, avec en bonus des bleus, des égratignures et la promesse de belles courbatures pour le lendemain… Enfin avec un peu de chance elle les auraient loin d'ici, on peut toujours rêver non ?

Hermine épousta comme elle pouvait son ensemble, il était presque midi maintenant. Finalement le temps depuis son réveil était passé à une vitesse folle.

Zevran ne voulait rien. C'était peut-être ça le pire.

Avec l'âge, il avait arrêté de charmer son monde dès la première seconde après leur rencontre. Cette façade n'avait été qu'un geste d'auto-défense. C'était ce que Piotr lui avait sorti un jour. Zevran n'était pas forcément convaincu. Il n'en restait pas moins que l'Antivan devait admettre ne pas savoir qui il était vraiment. Des années d'entraînement l'avaient modelé. Etait-ce le corbeau en lui qui charmait, ou son inclination propre? Etait-il réellement un roublard ou juste un gars très, très chanceux? Difficile à dire.
De plus, Zevran avait mis du temps à accepter de faire son deuil. Rinna était morte et il était passé de l'amour à la haine, et d'une vie de corbeau - donc une demi-vie en suspens - à une tendance suicidaire. Suite à ça, il s'était retrouvé embarqué dans une lutte contre l'Enclin avec un arrière fond de guerre civile et de manipulations politiques, avait mis un roi sur le trône et avait dû reconstruire un Ordre quasi mourant dans un pays humide, venteux et aux mets culinaires des plus exécrables. Il n'avait pas eu le temps de la pleurer, de regretter et de tempêter.
En un mot comme mille, il avait grandi, muri. S'était assagi.
Avait appris à être discret avec ses compétences, à ne pas laisser ses instincts de corbeau dicter sa conduite tout en affutant ses instincts de voleur/tueur. Un équilibre délicat avec lequel il jonglait encore un peu.

Il n'avait rien contre Hermine en elle-même. Ou peut-être devrait-il la tuer directement. Il ne savait pas. Plus il la voyait, moins il ne comprenait. Il aurait pu accepter qu'elle fût une très jeune recrue, ne connaissant rien aux armes. Mais dans ce cas, pourquoi aurait-elle été envoyée, seule ou en groupe, à Ferelden depuis cet Orlaïs présent dans son accent et ses manières? Il devait admettre les faits: l'incompétence aux armes de la jeune femme faisait qu'elle n'aurait pas pu prendre le genre de coups que son armure avait pris et survivre. Oui, les gardes, c'était presque magique, ça cicatrisait super bien. Mais pas à ce point. Donc ce n'était pas son armure. Pourquoi un garde des ombres aurait prêté son armure à quelqu'un comme Hermine? Si ce n'était pour un très bon prétexte. Ajoutons à ça le silence radio de Nicholas et Jocelyn... Et Zevran avait peut-être muri, il n'en était pas gâté ou gâteux. Hermine pourrait parfaitement entrer dans l'armure de Jocelyn. Ainsi, la question revenait encore à : qu'avait-il pu se passer pour que Jocelyn allât jusqu'à ce point pour protéger la jeune femme?
Sans réponse, l'Antivan ne devait que s'arrêter aux suppositions. Et donc imaginer toutes les possibilités. Et rester positif. Aussi rendit-il son jugement: Hermine n'était pas une Garde, mais devait être protégée par eux, pour une raison donc il ignorait tout. Si Nick et Lyn étaient morts pour elle, il ne pouvait pas faillir.

- "... bon, on va devoir tout reprendre." conclut-il en tendant une serviette à la jeune femme. "Demain, tu iras avec le groupe des débutants." Il savait qu'elle n'était pas noble. "Bon, nettoyage rapide, le sacro-saint repas du midi.." car priver un garde des ombres  de ses trois repas et deux goûters du jour était un crime.... "Et on va te trouver une chambre et un équipement.... Je suppose que tu n'as pas eu de flash ou de retour de mémoire?" Non, elle l'aurait dit.

Val avait peut-être approuvé la jeune femme, mais elle n'avait pas encore passé le test zevran. L'elfe allait donc se faire un plaisir de superviser son installation cet après-midi. Et pour le moment, elle fut envoyée aux bains pour un brin de toilettes, avec un petit malicieux "ne te trompe pas de porte cette fois".

Le repas fut le moment de constater qu'elle n'était pas une nouvelle recrue. Elle n'engouffrait pas tout ce qui était à portée de main comme tous les nouveaux initiés pouvaient le faire. Zevran avait été sidéré par l'appétit de Piotr, avant d'apprendre à lire entre les lignes. Elle n'était pas récemment initiée, mais vu son niveau en combat, n'était pas une ancienne initiée. Elle n'était pas, donc. Mais elle était sous la protection des gardes... ou leur surveillance. Allez savoir.

Puis il fut l'heure de l'installer. Les gardes partageaient généralement des chambrées, par arrivée d'abord - les recrues ensemble - puis par affinité. Tous ne pouvaient pas avoir une chambre individuelle. Zevran était tenté de laisser Hermine avec d'autres, pour la tenir à l'oeil, mais eu égard à sa blessure, il valait mieux la laisser sous le regard de Théo. On lui trouva un petit cagibis - un lit, un coffre, une table et un tabouret - à côté de l'infirmerie. Pendant tout ce temps, l'elfe parla un peu, mais pas vraiment. On était loin du babillage dont il avait saoulé Alistair et Piotr. Et surtout, il resta poli. Enfin, à la Zevran. Il ne put s'empêcher de glisser un ou deux compliments, un demi roucoulage, un regard sous-entendu. Juste pour tester. Ou pour écouter le son de sa voix. Allez savoir.
- "Voilà, querida. Il ne reste que quelques vêtements et objets du quotidien." Il l'emmena jusqu'aux magasins où l'Odre stockait tout, depuis les pommes, jusqu'aux armes, en passant par les coussins, les tapis, les corbeilles en osier et les plumes des poulets. "Quelque chose t'inspire? On va te trouver un peigne, des barrettes, une paire de chaussette et une chemise, mais tu as peut-être une envie autre?"

En fait il allait falloir tout prendre, tout court, mais bon elle n'allait pas le reprendre là dessus. Et elle était bonne pour des séances quotidiennes de ce genre de trucs comme ça apparemment, bon avec un peu de chance ce ne serait pas pour longtemps et ce n'était pas comme si elle pouvait faire autrement. Contre mauvaise fortune bon coeur en définitive. Elle acquiesça pour signifier que le programme lui convenait avant de la secouer négativement. Pas de flash, rien. Pour elle l'inverse aurait été surprenant.

Ne pas se tromper de porte… Qu'est ce que ? Bon, alors l'elfe croisé le matin dans la salle d'eau était bel et bien une pointure et il avait discuté avec l'autre blondin à l'accent chantant. Ensuite… Il y avait d'autres bains ? Et elle n'avait pas pris la mauvaise porte ? Oh merde… Elle compris mieux en revenant devant la porte des bains et les groupes qui y entraient et sortaient. Les bains n'étaient pas mixtes. La première fois elle était entrée, en toute innocence certes mais ça n'en restait pas moins une belle bourde.

De nouveau propre et après un repas copieux, mais sans excès elle avait eu un bon petit déjeuner et elle était loin d'avoir avalé la même quantité de nourriture que certaines personnes qui semblaient avoir un estomac sans fond, et sans que cela ne semble déranger personne. Il avait fallu lui trouver un coin où dormir, elle ne pouvait pas occuper indéfiniment un lit dans l'infirmerie, ou un bout de couloir. Et on lui avait trouvé un petit quelque chose.

Petit était le bon mot, placard ou cagibis aussi. Assez poussiéreuse, avec une odeur de renfermée, mais meublée-au minimum certes mais il y avait un lit, un coffre, une table et un tabouret. Et une petite fenêtre, la touche de luxe dans ce débarras. Hermine considérait qu'elle n'avait pas à se plaindre, et que même si elle avait eu de solides raisons elle n'en aurait rien fait. D'abord parce qu'elle ne tenait pas à attirer plus l'attention sur elle ou à s'attirer quelconques foudres, ensuite elle prévoyait que son séjour serait bien trop court pour qu'elle ait à se soucier des commodités et du confort de la pièce. Abuser de l'hospitalité des Gardes des Ombres n'était absolument pas dans ses plans.

L'Orlésienne ne fit pas plus grand cas du flirt, moyennement apprécié au passage, de Zevran, pour les mêmes raisons. L'absence de volonté de se faire des ennemis et remarquée, et la possibilité qu'elle n'ait pas à vivre cela très longtemps. Non, ça ne valait pas la peine de protester ou de rembarer, surtout cela pouvait aussi plus amuser qu'autre chose le blondin. Aussi continua-t-elle de suivre la stratégie adoptée depuis le début de cette mésaventure chez les Gardes: l'ouvrir le moins possible et rester calme, au moins en apparence. Pis bon, elle avait clairement entendu pire durant sa vie sur les routes et dans les auberges. Au moins le blondin avait de l'élégance dans sa prose, en plus d'un physique tout sauf discourtois.

Dans le magasin, il y avait vraiment de tout. Aux yeux de la brune c'était comme une caverne aux merveilles. Il lui semblait que les étagères allaient déborder et vomir les fournitures qu'elles portaient, pommes, denrées se conservant facilement, plumes d'oie, taies d'oreillers, draps et étoffes. Paniers d'osier, pots d'argile et de fer, encriers, brosses, peignes, ciseaux…. Jamais elle n'avait vu une telle abondance hétéroclite. Qui pouvait avoir bien eu l'idée et la patience de rassembler et trier tout cela dans un seul endroit ?

Alors qu'elle rassemblait les objets de base nécessaires, ses yeux s'accrochèrent sur quelque chose d'insolite. Dans un coin, oublié, poussiéreux il y avait un luth, curieuse Hermine s'en approcha. Sous la poussière le bois était clair, poli par l'usage et le temps, il avait la patine de l'âge et un charme allant avec. La rosace était délicate et finement ouvragée, il manquait une corde ou deux mais l'instrument n'en avait pas moins de la prestance. Avec douceur la jeune femme caressa le bois du bout des doigts, comme pour apprivoiser l'instrument. Le bois était doux,le contact plaisant, dans le mouvement et comme enchanté elle le plaça décemment dans ses bras, avec respect, pour en soupeser le poids. Et elle réalisa à quel point cela lui avait manqué… Le poids familier de l'instrument contre elle, les cordes sous ses doigts… Elle avait dû abandonner son luth dans sa fuite et depuis lors elle n'avait pas vu ou touché un instrument de musique, même de loin. Et ce n'était que maintenant qu'elle réalisait le vide que cela lui avait laissé. Elle en pleurerait presque.

Elle refusait désormais de laisser le luth de côté, surtout abandonné à son sort comme cela. Clairement il avait été aimé et choyé par son précédent propriétaire, il ne méritait pas de prendre la poussière ici. Hermine allait le chouchouter, le dépoussiérer, changer ses cordes et le réacorder décemment. C'était une honte de laisser une si jolie merveille ici. Si elle n'avait au final pu prendre qu'une seule chose, elle aurait bien volontier laissé tout de côté pour le luth. C'était certainement stupide et irraisonné mais là de suite, elle s'en fichait royalement. Un effet du mal de pays et de la nostalgie d'une vie définitivement enterrée en Orlaïs sans doute, ou un caprice inconsidéré. Les deux en même temps ? Peu importe, le résultat était le même. En plus des draps, des vêtements de rechange, du peigne en os, d'autres trucs pour attacher ses cheveux et d'une bougie Hermine allait ramener avec elle un vieux luth oublié qui prenait la poussière dans un coin.

Maintenant qu'elle avait quelques effets de première nécessité, un coin où dormir et un vieux luth qui devait avoir appartenu à un Garde qui avait préféré laisser son précieux instruments ici il y a des années, avant de partir pour son dernier voyage en réponse à l'Appel, il allait falloir qu'Hermine ait quelque chose pour s'occuper avant le repas du soir. On devait bien trouver un endroit où ils manquaient de mains, les lavoirs peut-être ? Mais avant il fallait bien repasser se délester et ranger les dernières acquisitions. La jeune femme s'occupa du luth avec un soin tout particuliers, le posant sur le coffre en bois avec délicatesse une fois que ce dernier eut été rempli.

Zevran étrécit les yeux quand il vit Hermine choisir, parmi tant d'autres choses, un vieux luth. Ce n'était pas que l'objet lui était cher, même s'il avait beaucoup apprécié Ulysse, qui en avait joué jusqu'au dernier jour de sa vie à la surface. En fait, une vague de culpabilité le traversa: l'instrument avait mérité mieux que de finir ici, comme ça. Il devait bien avoir une caisse de rangement quelque part dans ce foutoir, non? Non, c'était que luth + accent d'Orlais ne pouvait dire qu'une chose. Barde. Pour avoir fréquenter Lelianna, il savait de quoi il parlait. En tant que Corbeaux, il avait rencontré plusieurs bardes, et aucun n'était aussi sournois et remarquablement sibyllin qu'un natif de l'Empire.
Et cela ne faisait qu'alimenter son réseau de suspicion. Pourquoi Hermine serait-elle sous la garde des Gardes, si ce n'était pour les informations qu'elle possédait.... à l'avantage, ou non, de la dite Garde. Certes, ils étaient apolitiques. Mon cul, oui. La décision de Loghain de les trahir était politique. La décision de vouloir mettre beaucoup de recrues d'Orlais pour regonfler les rangs ici en Férelden, politique - ceci dit Piotr avait négocié ce passage admirablement, en faisant venir tout un contingent de prisonniers et volontaires des Marches Libres, de Nevarra et même d'Antiva (et Zevran savait qu'il y avait des espions de son ancienne famille dans le lot) pour diluer le "sang" orlaisien.

Il laissa Hermine à son repos, recommandé par Théo qui n'avait pas apprécié que sa patiente eût été mise sur le terrain d'entraînement comme ça. Le médecin toisa l'Elfe et lui dit le fond de sa pensée, avant de littéralement cloitrer Hermine dans sa chambre pour les trois prochaines heures, où elle devait faire la sieste, ou éviter tout coup de sang. Zevran s'inclina. Il n'insista pas plus que ça, car il voulait aller faire son rapport à Piotr avant toute chose.

Aussi Hermine n'attendait personne. Pourtant on gratta à la porte. Quand la jeune femme ouvrit, elle trouva Val, assise sur son arrière-train, portant entre ses mâchoires une brosse. le message était clair : elle venait d'écoper de la corvée de brossage de Mabari. Val se faufila entre ses jambes et s'installa dans le peu d'espace libre de la chambre et lâcha la brosse, pour pousser un court mais impératif aboiement.

De barde à toiletteuse... l'avenir de Hermine lui réservait-elle encore des surprises?

Hermine avait décidé de ne pas cracher sur les heures de repos imposées par l'infirmier en chef. Elle était encore assez fatiguée des derniers évènements, et si explorer le coin était une priorité pour voir si elle pouvait trouver un moyen de prendre la poudre d'escampette le plus discrètement possible, le faire en journée n'était pas une bonne idée. Donc dormir quand elle le pouvait puisqu'elle ne pourrait pas le faire beaucoup de nuit lui paraissait une bonne idée.

Elle s'était roulée en boule sur les draps et avait commencé à somnoler, combien de temps elle resta ainsi elle ne savait pas. Toujours est-il qu'elle fut réveillée par un grattement contre sa porte, puisque c'était désormais la sienne. Un peu à regret elle quitta son lit, déjà fourbue par le sommeil, et elle alla ouvrir la porte, pour trouver la mabari du matin assise bien droite sur son arrière train et une brosse dans la gueule. Et ses yeux brillaient d'un éclat impérieux et intelligent. Message très claire s'il en est, Hermine ne chercha pas à discuter l'exigence de la mabari. Elle s'écarta juste de l'embrasure de sa porte pour la laisser entrer.

Honnêtement elle prit un certain plaisir à brosser la chienne, et celle-ci semblait vraiment apprécier elle aussi. Tout en s'appliquant à rendre le poil soyeux et brillant elle fredonnait des airs. Cela faisait longtemps qu'elle n'avait plus chantonné ainsi, ni chanté tout court en fait. Cela lui plaisait beaucoup de retrouver ainsi le goût de la musique dans sa bouche, c'était un peu comme rentrer à la maison. Elle travailla à brosser soigneusement le pelage de la mabari, prenant très à coeur son tout nouveau rôle de toiletteuse qui venait s'ajouter à celui de garde des Ombres amnésique. C'est qu'elle accumulait les casquettes ces temps ci.

Quand ce fut terminé elle caressa la tête du chien, la gratouillant derrière les oreilles affectueusement.

-Allez ma grosse, ça te dit une petite balade ? Ton maître doit te chercher.

La mabari jappa d'une manière que la petite barde compris comme une affirmation, sans plus de cérémonie elles quittèrent la pièce, Val trottant aux côtés de l'humaine et elle semblait être un incroyable passe droit aux yeux des gardes qu'elle croisait. A se demander si elle n'était pas un peu magique. Entre l'humaine et la chienne celle qui promenait l'autre n'était pas exactement celle à qui on penserait forcément en premier. Hermine ne s'en plaignait pas, elle retenait l'agencement et la position des couloirs qu'elle parcourait tout en accompagnant la Petite Chérie, puisque c'est comme ça que l'appelait son blondin de maître le matin même.

La jeune femme apprécia bien la petite promenade dirigée par la mabari, finalement elles arrivèrent dans un coin sacrément isolée de la forteresse. Pas un chat qu'y avait, juste un elfe blondin à qui la mabari vient faire la fête joyeusement comme si elle ne l'avait pas vu depuis une éternité.

Hermine aurait voulu que l'échange qui suivit entre elle et l'elfe eut été aussi agréable. Il n'en fut rien, et un peu plus elle se sentait s'enfoncer dans des putains de sables mouvants sans aucune chance de s'en sortir. Vers où tout cela allait-il la mener ? Elle n'en savait foutrement rien, voilà un moment qu'elle avait perdu le contrôle de sa barque et qu'elle dérivait d'emmerdes en emmerdes. Lorsque Piotr l'informa qu'il savait qu'elle n'était pas amnésique, elle se renfrogna mais ne chercha pas à nier, franchement là elle n'avait aucune chance de paraître crédible. Eh ben, son petit coup de bluff avait pas duré deux jours, elle savait pas si c'était un coup de maître ou une belle branlée. Elle tient le silence jusqu'à ce qu'il lui demande de raconter son histoire et comment elle s'était retrouvée avec une armure de Garde dans un si mauvais état.

Alors Hermine raconta, ça elle savait faire c'était son métier après tout, elle raconta succinctement ce qui l'avait poussée à prendre la fuite vers Férelden, les détails n'avaient pas une grande importance, elle raconta comment elle avait trouvé les deux corps des Gardes sur sa route, abandonnés à l'écart des grands axes de circulation, franchement elle n'avait pas cherché à comprendre le comment du pourquoi. C'était pas sa merde sur le coup, ce qui les avaient tués il n'y en avait plus nulle trace. Elle, elle s'était contenté d' « emprunter » l'armure de la fille. Cela lui avait paru un bon déguisement, même cabossé et sale ça restait un sacré sauf conduit. La suite il la connaissait. Voilà comment la petite barde orlésienne de grands chemins se retrouvait dans le rôle d'une Garde des Ombres amnésique, et au passage dans une merde noire jusqu'au nez.

-Alors, vous allez faire quoi de moi ? Me renvoyer en Orlais ?

Si elle avait su, jamais elle n'aurait touché à cette putain d'armure de merde. Elle aurait passé son chemin en laissant les deux cadavres pourrir et un autre couillon gérer le problème. Bon… Elle aurait certainement récupéré le contenu de leurs bourses et leurs provisions, mais touché à l'uniforme à ça non ! Elle avait donné !

Valneesha était en effet très fière et contente d'elle-même. Elle avait été brossée, avec un certain dévouement. La Marbari était sensible aux sentiments. Certes, Hermine n'était pas son Piotr à elle, mais elle avait une tendresse pour Val, et la chienne s'en contentait. Surtout si ça lui permettait d'être brossée tout en suivant les ordres: tenir la jeune femme à l'oeil. Ce moment de complicité partagée n'avait pas but de rendre Val jolie - c'était le bonus. Non, la chienne avait eu pour mission d'analyser le coeur de Hermine, car Piotr savait que personne d'autres que sa Marbari pouvait lire les âmes mieux qu'elle. Appelez ça l’instinct animal ou ce que vous voulez. Sur ce point précis, Piotr faisait confiance à Val avant tout autre, même avant Zevran. Le Corbeau était un ami inestimable, mais sa lecture de la psyché humaine puait, tout simplement.

Si Val et Piotr se firent la fête, c'était donc par plaisir de se retrouver, mais surtout pour échanger des informations. Aussi, quand le Dalatien se redressa, il connaissait le rapport de Val.
- "Ainsi donc... menteuse, mais pas méchante". attaqua-t-il, peu désireux de perdre son temps avec Hermine. Il ne lui devait rien, à part la considération due à un être conscient. Elle n'avait peut-être rien fait de mal, volontairement, mais voilà, elle s'était mêlée de ce qui ne la regardait pas. Hermine ne résista pas, et avoua rapidement.

- "Non, je ne vais pas te renvoyer vers le danger. Dans cette histoire, tu es la victime, et même si ce n'est pas de la faute des Engeances, c'est mon devoir de te protéger." Les gardes des ombres avaient toujours joué de cette carte pour s'infiltrer un peu partout, surtout là où techniquement, ils ne devaient pas être : la politique. "Je ne pense pas que ce petit noble va venir te chercher des poux jusqu'ici, mais il faut que tu comprennes que tu me mets dans une situation bien difficile. Tu as été vu ici, comme garde des ombres. Mes hommes sont fidèles et si je leur dis de faire comme si tu n'avais jamais existé, ils le feront. Mais ça dépasse le régiment de Férelden." Piotr passa une main lasse dans ses cheveux et s'assit avec un soupir sur un muret. Val gémit un peu et vint poser sa tête sur le genou de son maître adoré, le regardant avec un amour proche de la vénération. "Si je te revois comme ça, tu risques d'être en danger. Si tu es capturée, tu pourrais avouer avoir eu recours à notre armure comme déguisement, et ça nous jetterai en pâture à des gens qui n'attendent que ça. De plus... les deux gardes que tu as trouvés... j'attendais leur retour, ils étaient en mission pour moi. Est-ce de la chance ou pas pour toi de les avoir trouvé? Je ne sais pas.
Tout ce que je sais, c'est que tu as une dette envers les Gardes, et tu vas t'en acquitter. Je vais faire en sorte de te procurer une protection que personne ne viendra contester, et toi, tu vas m'aider à régler quelques petits problèmes."

Et c'était non négociable. Si Hermine devait refuser, bien que Piotr n'eût rien dit à ce propos, il flottait dans les airs un message de menace presque tangible. L'Elfe se leva et commença à tracer un cercle dans la terre battue de cette petite cours abandonnée.
- "Tu vas partir avec Zevran et quelques gardes pour Férelden. Tu seras présentée à la Reine et au Roi. Anora me doit une faveur ou deux, donc elle va faire en sorte que tu sois de façon rétroactive barbe pour son compte. Comme ça, si les nobles devaient te retrouver, tu bénéficieras de l'immunité diplomatique. En échange de cette protection, tu as interdiction totale de mentionner d'être faite passer pour une Garde. Personne ne doit être au courant, pas même un autre garde des ombres. Puis, tu guideras Zevran vers l'endroit où tu as trouvé les deux corps. Une fois ça fait, tu seras libre de retourner Anora et de vivre ta vie de barde à la cour. A terme peut-être tu pourras revenir chez toi, mais tout ça dépasse mon entendement et mon champ d'action."

Brutal, Piotr pouvait l'être. Il n'avait rien contre Hermine, mais il ne voyait pas pourquoi il devait particulièrement l'aider. Il ne lui devait rien. C'était sa nature de Dalatien, où le clan comptait avant tout, qui s'exprimait. Désormais chef de la Garde des Ombres à Férelden, il pensait à ses hommes et à sa mission avant tout autre chose.

- "Je te laisse mettre Zevran au courant de ta supercherie et de vos ordres de mission. Il prendrait très mal de ne pas entendre la vérité de ta bouche." Pour un menteur pathologique, c'était fou comme il pouvait se brusquer quand on lui mentait. Piotr n'avait aucun problème avec ça, puisqu'il adorait dire les choses comme elles étaient : brut de décoffrage. Plus ça choquait les petites moralités bien pensantes de nobles et de parvenus, de faibles ou d'hypocrites, ça lui allait. Piotr n'était pas un rayon de soleil. Il n'avait que mépris pour les Elfes citadins, pourtant ses frères de race, et incompréhension pour le reste du monde. Si ce n'avait été que pour ce tragique incident dans les ruines avec ce "miroir", Piotr serait resté toute sa vie avec son clan. En bon Dalatien, il était chasseur, droit comme une flèche, et tranchant comme une lame. Abattre l'archidémon n'avait pas amélioré son caractère.
Donc se servir de Hermine comme d'un pion, pour en tirer le meilleur parti, ne lui posait aucun souci métaphysique.

Et si elle n'aimait pas ça, tant pis pour elle, elle aurait dû se débrouiller autrement pour survivre.

Menteuse… Menteuse… Tout de suite les grands mots ! Elle n'avait pas menti, enfin pas à proprement parlé, était-ce sa faute s'ils avaient composés tout un conte dans leurs têtes ? Elle, elle s'était contenté de les laisser rêver un peu.. Bon d'accord, c'était du mensonge par omission mais n'empêche qu'ils lui avaient tendus une sacrée perche ! Cela bien sûr Hermine ne le dit pas et certainement pas à voix haute, elle était dans une situation qui nécessitait le silence de sa part. Mieux valait ne pas attirer les foudres de ceux à qui elle était redevable, elle avait déjà bien assez d'une personne à fuir, alors un ordre entier… Décidément mieux valait s'en passer.

Alors elle écouta en silence ce que l'elfe lui proposait, enfin lui imposait mais elle n'allait pas faire la fine bouche et il le savait, un affamé ne refuse pas du pain même rassis. Honnêtement, l'accord de Piotr n'était pas en sa défaveur, bon c'était pas non plus parfait mais on n'a rien sans rien et elle préférait toujours la cour de Férelden à pratiquer son métier, passer de barde itinérante à attitré à la reine de Férelden, le pays avait beau sentir le chien mouillé c'était quand même un sacré avancement social ! Tout ça contre son silence sur cette histoire, ça c'était facile et elle s'y pliait volontier. Bon guider l'autre blondin vers les deux corps, ça c'était moins simple… Mais encore une fois elle n'était pas en mesure de refuser quoi que ce soit, et puis Piotr avait été plus que largement généreux avec elle, il aurait simplement pu exiger qu'elle mène Zevran là bas et ensuite la laisser livrée à elle même ou pire. Non, s'il avait quelqu'un qui devait être redevable ici, c'était elle. Alors elle acquiesça sans discuter, hochant simplement la tête. Hermine s'en sortait à bon compte, elle en avait conscience.

Bon, ça c'était certainement le pire truc dans l'histoire… Ouais ben elle ce qu'elle craignait c'est sa réaction quand elle le lui dirait ! L'était marrant lui ! Mais encore une fois elle ne pouvait pas protester, en tous cas ça n'aurait aucune forme d'importance, ça ferait juste du bruit pour rien en définitive. Alors elle retient la grimace qu'il lui brûlait d'afficher et elle répondit d'un simple:

-Très bien, j'y vais de ce pas.

La conversation était finie et ne s'éterniserai pas plus, autant rapidement réglé le soucis de Zevran le plus vite possible. En sortant elle marcha un peu avant de demander à quelqu'un où se trouvait le fameux elfe, Hermine s'y rendit sans joie, c'était une corvée à régler, plus vite ce serait fait mieux ce serait. En conséquence, elle s'approcha de l'elfe d'un pas décidé sans avoir l'air de se soucier d'avec qui il pouvait bien être ou de ce qu'il pouvait bien faire. C'était pas son problème, elle n'en avait cure.

-Il faut qu'on parle, en privé.

Si le ton ne suffisait pas, toute la gravité et le sérieux du monde se lisait sur le visage de la jeune orlésienne. Elle attendit qu'ils soient effectivement seuls, en ignorant d'avance toute potentielle remarque qui aurait pu venir de l'elfe. Ce n'est que là qu'elle se mit à déballer son sac

-Je ne suis pas amnésique. Au moins on ne pourrait pas dire qu'elle tournait autour du pot. Je m'appelle Hermine Vagand, je suis une barde itinérante orlésienne, pas le genre espion mais celui qui va sur les routes et qui vit sa vie de son côté. Enfin, je n'ai jamais voulu me faire passer pour une Garde des Ombres ou venir ici, mais c'était la meilleure solution que j'avais pour m'en sortir et fuir Orlais, j'ai disons… quelques contentieux avec la Justice là bas… J'étais en fuite quand je suis tombée sur les corps de deux Gardes des Ombres, pas très loin de la frontière l'une des armures était à ma taille, j'étais désespérée et sa propriétaire n'en avait plus usage… Alors je l'ai récupérée et j'ai poursuivie ma route, la suite n'a rien d'inédit. Piotr est déjà au courant, c'est sur son ordre que je vous raconte tout ça. Il a aussi décidé de nous faire partir avec quelques Gardes pour Dénérim, apparemment la reine Anora lui doit une faveur et ensuite je vous guiderai jusqu'à l'endroit où j'ai trouvé les deux corps.

Zevran avait toujours su quand une situation était sérieuse. Pendant très longtemps, il avait juste choisi de ne jamais... comment dire... oui, il s'en foutait royalement. Sachant qu'il avait fricoté avec les empereurs et les impératrices, cela voulait vraiment dire quelque chose. Il avait agi comme bon lui semblait, avec une désinvolture insolente savamment calculée... Car personne ne pouvait être à ce point doué, chanceux, ou juste inconscient. Lui était un mélange des trois à doses inégales, avec avant sa rencontre avec Piotr un soupçon de suicide. Puis les années étaient passées, et petit à petit l'elfe avait pansé ses plaies - les plus superficielles, car son coeur était meurtri au-delà des mots et du temps.
Donc, quand il jeta un coup d'oeil à Hermine, il sut qu'elle n'était pas là pour le plaisir et pour une fois, il s'abstient de tout commentaire, salace ou sage. Il écouta en silence et il le garda après ses révélations, fixant Hermine d'un regard froid, vide de colère ou de tout sentiment réel, si ce n'était cette détermination teintée de suspicion. Appuyé les épaules contre le mur, les bras croisés sur la poitrine, il contemplait les tenants et aboutissements de la situation. Il n'allait pas remettre en question les ordres de Piotr, mais il savait qu'une partie des informations lui manquait. Son chef ne lui avait pas tout dit. Ce n'était pas un manque de confiance. Non Zevran savait qu'il était le frère de sang du Dalatien. Piotr connaissait la valeur de Zevran: il n'irait pas papoter à tort et à travers. Malgré tout... il choisissait de ne pas tout raconter à son second. Cela voulait dire qu'une seule chose: Piotr se méfiait de ses alliés. Anora et Alistair, peut-être pas, mais dans leur entourage, il y avait quelqu'un indigne de confiance.
Sûrement ignorait-il qui, exactement... et il voulait que Zevran le débusquât. S'il ne disait rien de ses soupçons, c'était pour ne pas influencer l'ancien assassin dans son enquête.

- "Soit." finit-il par dire. "Nous ferons comme Piotr l'a décidé." Il soupira. Piotr respecterait la neutralité de la Garde des Ombres par rapport aux intrigues politiques, mais le Dalatien n'ignorait pas qu'il était le seul à suivre ce qui n'était dans les faits, qu'une théorie. Les Orlésiens, sans même parler du QG perdu dans quelque montagne au nord, jouaient tous sur l'échiquier du pouvoir. Comme Zevran n'était pas, tout aussi techniquement, un garde des ombres, c'était à lui que revenait l'honneur de traiter toute cette partie du jeu. Et cela commençait à le fatiguer.

- "Tu réalises que cela fait de toi... une invitée non désirée, au mieux." lâcha-t-il, cru et direct. "Tu as mis les pieds dans un terrain bien plus glissant que tes ennuis à Orlaïs. M'est d'avis que tu vas regretter ce que tu pensais être des gros soucis." Il ricana. Pour un peu, il aurait eu pitié de la jeune femme, mais elle avait scellé son destin en prenant l'un des rares "déguisements" qui aurait dû rester sacré à ses yeux... et en n'avouant pas la vérité dès qu'elle avait été en privé avec Piotr ou avec lui.

Il n'avait aucune raison de l'aimer. Il ne la détestait pas, réellement. Mais Zevran avait appris, avec le temps qu'il y avait autre chose que l'amour et la haine. Le peu de sentiment qui lui restait, il n'allait pas les gâcher sur le cas d'une inconnue pataude qu'il ne reverrait sûrement jamais plus.
- "Prépare tes affaires. On part demain à l'aube."

Et demain à l'aube, ils partirent. Seuls. Normalement, une escorte d'une demi-douzaine d'hommes les aurait accompagnée, mais le secret de la nouvelle nature d'Hermine devait être protégé. Comment expliquer qu'elle passât de Garde à Barbe ? Zevran était assis sur le banc d'une petite carriole, tirée par un mulet, un des rares à Ferelden, courtoisie des collègues d'Orlais. Zevran allait profiter du voyage à la capitale pour récupérer des provisions et autre ravitaillement.
- "Le voyage va prendre quelques jours. Je te conseille de profiter de ce temps pour réviser tes manières de cour, barde." lança-t-il alors qu'ils laissaient la forteresse derrière eux.

Bon… C'était clairement pas le pire des scénarios, les choses auraient pû se passer bien plus mal. Donc, elle s'estimait, relativement, heureuse. Oh, elle avait l'habitude de ne pas toujours être la bienvenue là où elle allait. C'était les aléas de la vie sur les routes, on n'était pas bien vus partout tout le temps, on faisait avec. Aussi la jeune femme ne fut pas blessée outre mesure par le constat de l'elfe, parce qu'il s'agissait bien d'un constat. C'était comme dire que deux plus deux égal quatre, un fait et Hermine aurait été bien bête de tenter de le nier. Quant aux restes des commentaires, ce serait certainement vrai un jour, enfin plus qu'actuellement. Mais le fait qu'elle soit en vie et en seule morceau, jusqu'à nouvel ordre du moins, était un net avantage en comparaison de ce qui l'attendait certainement en Orlaïs.

-La bonne nouvelle de la situation, c'est que je suis toujours en vie pour regretter les choses, pas dit que ça aurait été le cas longtemps là-bas. Dit-elle avec un sourire amer, de toutes façons elle doutait que le chanvre autours de son cou soit un accessoire la mettant bien en valeur.

Elle ne s'attarda pas plus auprès de l'elfe, tout avait été dit. Préparer ses affaires ne lui prit pas beaucoup de temps, au moins savait-elle comment elle allait sortir de la forteresse, comme elle était entrée, par la grande porte. Quant au voyage en lui-même il ne s'annonçait guère agréable mais pas non plus insupportable, le blondin ne l'appréciait pas particulièrement mais n'avait pas l'air de vouloir sa peau pour autant. Toujours ça de pris, et puis les choses pourraient être bien pires. La nuit fut très courte, mais à l'aube Hermine était prête un sac contenant quelques maigres possessions et son luth dans son dos. Avant de grimper, avec l'aisance de ceux qui passent leur vie sur les routes, sur le banc de la carriole elle flatta le mulet et lui gratta affectueusement entre les oreilles. Voilà un moment qu'elle n'avait pas vu une de ces bêtes qui lui rappelait sa vie d'avant.

Hermine retient une grimace à la remarque de l'elfe, il en avait des bonnes, lui. Les manières de la Cour c'était une matière inédite pour elle et ce n'était certainement pas au cours de ce voyage qu'elle allait pouvoir y changer un truc. Conformément à ses attentes on ne peut pas dire que le voyage se passa véritablement dans la détente et la bonne entente, mais ils n'en vienrent pas aux mains non plus. Rodée aux nécessités des voyages Hermine se montrait assez efficace et active. Elle aidait à porter et ranger les marchandises, s'occupait du mulet qu'elle avait affectueusement baptisé Baptiste en référence à un ancien compagnon de sa troupe que l'animal lui rappelait. Et si elle restait silencieuse durant les voyages en carriole lorsqu'ils s'arrêtaient dans une auberge c'était sa nature de barde qui s'exprimait. Elle chantait et racontait des histoires aux veillées, son calme laissant la place à une animation captivante. Elle savait comment faire son métier c'était certain. Ces escales étaient aussi bénéfique à son répertoire, elle y apprenait de nouvelles chansons et de nouvelles histoires, c'était donnant-donnant.

Parfois la mélancolie la gagnait, elle retrouvait des sensations des habitudes qu'elle avait avant. Mais il n'y avait plus les visages familiers qui allaient avec, elle était dans un pays qui n'était pas le sien et elle n'entendait plus sa langue natale. Pas plus qu'elle ne savait comment allait ceux qui avaient été sa famille, allaient-ils bien ? Où se trouvaient-ils désormais ? Est-ce qu'elle les reverrait un jour ? Elle ne savait pas, elle ne le saurait sans doute jamais, et cela l'emplissait d'un chagrin muet.

Ainsi le voyage s'écoula, sans grand heurt ni fracas, puis un matin ils arrivèrent à Dénérim. La cité était grande, vraiment très grande, au pied du Pic du dragon et au bord de la mer. Et comme toutes les grandes villes elle empestait et était surpeuplée. Que ce soit les habitants ou les voyageurs il semblait impossible de ne pas croiser quelqu'un. Les pauvres vivaient en périphérie, comme toujours et les riches vers l'intérieur. Elle n'avait pas non plus grand chose à voir avec les grandes villes d'Orlaïs, tout y était plus… brut, moins délicats les maisons étaient globalement les mêmes que celles qu'elle avait déjà croisé jusqu'ici. Mais peut-être plus grandes à mesure que l'on se rapprochait du château et son des grandes demeures des nobles. Les routes n'étaient pas pavées mais en terre, ce qui devait être horrible les jours de pluie.

Le palais royal était loin de la mer et du fleuve, il se trouvait dans les terres, plus près du Pic que d'autre chose, à l'exception de Fort Drakan. Tout autour de lui s'étendait les demeures des grands nobles de Férelden, ici les odeurs étaient moins fortes, les rues moins bondées et toujours pas pavée mais mieux entretenues. Hermine devait le reconnaître, pour un truc féreldien ça avait de la gueule.

Zevran resta stoïque devant les idioties de sa camarade de voyage. Si elle lui avait demandé son avis, il lui aurait conseillé de garder un profil bas, pour ne pas attirer l'attention sur elle, de telle sorte que personne ne pourrait se demander comment une presque guenillarde des routes était devenue barde royale. Mais elle ne lui demanda rien. Pas même des tuyaux sur la cour de Dénérim. Zevran lui aura été une source très utile d'information, surtout qu'il connaissait les circuits non officiels. Mais Hermine ne semblait pas comprendre la position dans laquelle elle se trouvait et s'entêtait à se comporter "comme avant". Mais avant était mort, et jamais elle ne serait de nouveau une jeune femme sans importance. Elle n'avait pas forcément voulu ce destin, mais voilà, c'était le sien désormais: elle vivait dans le monde politique, à présent.

Zevran était calme et peu bavard, une chose normale pour qui le fréquentait depuis peu. Pour Piotr et Alistair, qui le connaissait 'd'avant', ce n'était pas forcément un bon changement. Oui, l'elfe devait faire son deuil et réapprendre à vivre "normalement" - si on pouvait traiter la vie des gardes des ombres comme normale - mais ce n'était pas une raison. Cependant, les deux compagnons avaient plus urgents à régler, plus "au nom du plus grand bien" pour se pencher sur le cas individuel de leur ami. Aussi Zevran resta-t-il courtois et peu amène à la fois, en toutes circonstances.

Sauf quand il fut, avec Hermine sur ces talons, introduit dans le salon privé du roi. La carriole s'était présentée au Palais une heure plus tôt et avait été immédiatement reçu droit d'entrée. Zevran avait conduit directement dans une discrète arrière-cour et sans attendre de guide, avait monté et descendu des marches, parcourut des corridors, guidant Hermine dans le dédale qu'était le chateau royal, qu'il connaissait comme sa poche.
- "J'ai la chambre de droite, et toi, celle-ci." fit-il en désignant une porte presque en face de la sienne. "Prends un bain, mange un peu. On a rendez-vous dans une heure."
Et sans lui demander son reste, il entra dans ses quartiers et ferma la porte.

Une heure plus tard, il toquait à sa porte. Il était propre comme un sous neuf, avec une belle tenue qui n'était pas ostentatoire, mais classe (pantalon de cuir brun et chemise beige, avec ses dagues et son insigne de la garde bien visible).